Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Celenee
4 mai 2007

Un soir tout bête

C'est l'histoire d'un bar. Mon repaire…
Evidemment, endroit magique… Un peu à l'écart de la rue de fête et d'agitation. Il y fait chaud quelle que soit la saison, il y fait doux. Les bougies dans leurs photophores rouges sont presque les seules sources de lumière et caressent les visages, les tableaux et les livres… Il y a du bois, sombre et profond, et du métal chatoyant.
Et il y a SD. Il est tellement maigre que j'ai peur de le casser quand il me prend dans ses bras… Il crie à ses clients, toujours, que je suis sa reine, que je suis chez moi… Que j'étais sa première cliente. Qu'il se souvient des soirées, peu après l'ouverture, où nous étions quatre en tout, où l'air froid passait par les fenêtres disjointes, mais où je restais… Et pourtant, je ne faisais pas dans le caritatif… C'était égoïste, j'étais bien, là…
Et je faisais défiler mes rencontres, chaque fois une nouvelle tête, et je me réchauffais à ses mojitos -les meilleurs de Paris ! Nouveaux visages qu'il accueillait à chaque fois comme s'ils étaient l'homme de ma vie… Elégant jusque dans ses poignées de main et sa façon de leur souhaiter la bienvenue… SD ne sait rien de moi, il m'appelle sa chérie, me prend dans ses bras, me présente son bout d'homme de 4 ans, et dit en riant et en caressant la peau de mon dos que notre amour est impossible…
Je suis la princesse, celle qui les soirs de grosse activité fait le plein de papier toilette et vide les cendriers… C'est juste un bar, en somme.

Et puis, c'est l'histoire d'un soir.

Un soir tout bête, tout con… Comme il y en partout, tout le temps… Le soir d'un concert "très très privé" avec une amie… Accessoirement, le soir de l'anniversaire d'une mort… Je me moque des dates, la peine ne sort pas son agenda pour prendre rendez-vous…
Le concert est tellement privé que nous ne sommes plus qu'une bonne centaine devant la scène quand le dernier artiste prend sa place… Et je me moque tellement des dates que je n'ai pas le temps de sentir monter le chagrin quand s'envolent les premières notes du piano. Les mêmes résonnaient dans l'église le jour de l'enterrement, et sans avoir pu rien contrôler je suis pliée en deux, submergée par cette vague à l'intérieur que je ne contrôle pas qui emporte tout, qui secoue mes épaules et noie mon visage… Sortir, il le faut, respirer, arrêter les larmes, repousser le chagrin à l'endroit d'où il est remonté, tout au fond, et le remplacer par la vie… Ce sont les bras de Marie qui cueillent ma tentative de fuite, et qui enveloppent mes sanglots jusqu'à ce que cette sale chanson se termine enfin, jusqu'à ce qu'elle m'entraîne vers la sortie…

J'ai le nez rouge, les larmes coulent encore, je tremble et je chancelle et je ris en lui demandant pardon, je ris de m'être ainsi laissée aller, je ris pour ne plus pleurer.

Il n'y a qu'un seul endroit pour accueillir ses bras autour de moi, ses doigts qui caressent mon poignet, et les traces de mes larmes sur sa veste… Et les mojitos s'imposent comme une évidence.
Il est tard, il n'y a personne, SD s'apprête à fermer… Mais puisque c'est moi, et puisque sa princesse a l'air mal en point, livrant bataille contre le rire autant que contre les larmes, la question de la fermeture ne se pose même plus… Trois mojitos plus tard, il est là, avec nous, dans ce canapé moelleux, au fond de mon recoin préféré… Mes mains dans les leurs, leurs bras qui s'ouvrent, nos joues qui se touchent…
Abdul, le vendeur de roses qui est entré le temps de se cacher d'une voiture de police, a fini par s'endormir sur le fauteuil en face, et son sourire incroyable de générosité et de chaleur flotte encore sur ses lèvres… Même dans son sommeil, même terrassé par la fatigue, alors que sa femme est en train d'accoucher à l'autre bout du monde de leur quatrième enfant et qu'il est inquiet pour sa vie, ce type sourit. Il dort, là, devant nous, c'est toujours ça de pris sur son tour de sommeil qu'il ne pourra commencer que quelques heures plus tard, quand un autre lui aura laissé sa place dans une chambre quelconque... Il peut dormir parce qu'il a vendu toutes ses roses, ce soir. SD lui a acheté la totalité de son bouquet, prétextant avec un clin d'œil à notre attention un anniversaire le lendemain soir…
Abdul dort, il sourit, et il est magnifique. SD place les roses dans des seaux à champagne.
Les mains de Marie ne quittent pas les miennes et il nous dit la mort de son frère, dans quelques heures, une journée au plus… Il passe toutes ses nuits depuis une semaine, à l'hôpital, au chevet de son frère qui n'est déjà plus là, et ce devrait être la dernière… Nos bras autour de lui, nos larmes qui se rejoignent le long de nos joues jointes... Il nous dit l'attente, la colère, la peine, il nous dit son frère, son œuvre, ses tableaux qu'il exposera… On se ressaisit, sourires puisque futurs…
Je souris en leur disant le présent, ce qui reste, toujours et tout le temps, dans les choses les plus simples de tous les jours. Je leur dis le manque, l'absence, le vide, la peine. Je leur dis son imparfait, sa vie… et la mienne, au présent…
Nos mains ne se quittent pas, larmes et rires s'entrelacent tout autant que s'entremêlent le futur, le passé et le présent qui font ce que nous sommes, là, maintenant… dans l'instant et les émotions que nous partageons, intensément… Dans un bar tout bête, un soir tout bête.

Publicité
Commentaires
C
Sacrément touchée... tu le sais, j'espère.
Publicité
Derniers commentaires
Albums Photos
Archives
Publicité