Ce soir, à la télé (LCI, toujours, hein, j'ai du mal à changer, je dois être une routinière qui ne s'assume pas) ce soir, donc, disais-je, des images de mobilisations estudiantines.
Estudiantines ? Étudiantes ? Boarf, flemme de vérifier, et pis on s'en fout...
Bref, ça bouge dans les facs.
Il y a des orateurs passionnés, tremblants, hurlant dans un micro (même pas un porte-voix, tu rigoles ou quoi, non non monsieur, un micro, un vrai, un sans-fil ! Wow, les avancées technologiques ne cesseront jamais de m'impressionner !)
Bref, à les voir comme ça, tremblants mais convaincus, je me suis pris une rafale d'images dans la tronche, un sacré flashback, en quelques secondes.
Pas des images de déjà vu, non... Pas non plus les images de quand on est en plein dedans. Juste des images de moi (j'aime pô trop, en général, et j'évite dans la mesure du possible) mises sous les yeux de la même moi - juste plus de dix ans après...
Je me suis revue, dans mon petit short court noir et mes collants presque opaques (j'avais de jolies jambes, apparemment) aussi tremblante qu'eux le sont aujourd'hui, m'époumonner en pleine Assemblée Générale dans le plus grand amphi de ma fac. Comment je m'étais retrouvée là, moi la timide complexée, dépucelée de quelques petits mois, en première année de fac, je ne saurais le dire. Ni pourquoi, ni pour ou contre quoi, je ne sais plus. Ah si, une Jospinade... Mais bon dieu, ça, pour être dedans, j'étais dedans !
Ma soeurette m'a parlé récemment de cette bouffée de fierté qui l'avait envahie en me voyant débarquer dans sa classe, quand on faisait le tour des lycées de la ville pour mobiliser les futurs pôvres étudiants qu'on défendait autant que notre propre peau... Du coup, y avait du monde pour m'écouter (et m'applaudir ! Moi !) quand je les débauchais pour qu'ils viennent à la manif, grimpée sur un banc au milieu de la cour de mon ancien bahut ! Ah la vache, je le sais bien que j'avais la voix qui tremblait, mais les accents de sincérité, faut croire que ça leur parlait !
Et l'AG Nationale à Paris ! Oh ce périple !!! Messieurs des RG qui passez par ici, vous vous souvenez, hein, de la R5 bordeaux qui se trimballait en tête de manif dans la ville, menant le cortège qui allait bloquer les TGV en se répandant sur les rails à la Gare... Si si, chuis sûre, avec le méga porte-voix de la mort qui tue sur le toit, et les cinq Délégués-Représentants-Coordinateurs qui montent dedans pour représenter la ville et les étudiants de la région à la capitale !! Eh ben c'est moaaaaaaaa !... Bonsoir Messieurs ! Installez-vous, y a d'autres aveux qui arrivent !
Bon, vous aussi, Parents, vous vous en souvenez... Panique à bord le matin en ne voyant pas la voiture dans la rue, et hallucination totale en apprenant que je revenais de Paris, pas dormi de la nuit ben oui le temps de rentrer, on va prendre le café ici, hein, après je les ramène à la cité U ! Des années plus tard, vous vous en souveniez assez pour me le remettre dans les dents, au chapitre "Tout ce qu'on a dû subir !"
Les réunions de la Coordination Étudiante jusqu'à des 3 heures du matin pour décider des suites à donner au Mouvement... Y en a pas eu beaucoup, c'est vrai - en tout cas au niveau collectif...
Parce qu'au niveau individuel, ça faisait un bout de temps que je le zyeutais, quand même, le grand (forcément), là-bas... Celui qui me taxait tout le temps des clopes, toujours un peu en retrait, mais quand il l'ouvrait, c'était respect... Pas si en retrait, d'ailleurs, il était toujours à côté de moi, il disait qu'il faisait garde du corps d'une des seules nanas de la Coord'...
On a fini par partager trois ans de nos vies, lui et moi...
Quand ça a commencé à devenir sérieux, tous les deux, vous savez, les papillons dans le ventre, le coeur qui bat fort rien qu'à l'idée de se retrouver et les étoiles dans les yeux, il m'a passée à un autre de ses camarades. Euh, ah non, pas de méprise ! "Passée", politiquement parlant, hein, à cette époque, "échangisme", je ne savais même pas que c'était dans le dico !
Parce que, "discuter politique", c'est bien ce qui a fait qu'on s'est rapprochés, tous les deux... Je crois bien qu'on savait que ce n'était qu'un prétexte. Mais il nous plaisait bien.
Alors je courais. Entre mon boulot dans un magasin de sport, mon autre boulot à la B.U. Sciences, mes 36 heures de cours hebdomadaires (mais oui !! oui oui j'étais en fac !), mes rendez-vous de discussions politiques, mes heures de lecture qui allaient avec, et mon premier vrai Amour, je courais.
Du coup, à force de courir, j'avais pris de l'élan, alors j'ai grimpé les échelons de l'Organisation.
De sympathisante, je suis passée à militante. Oh purée, cette fierté quand le leader local m'a donné mon pseudo... Consécration, c'est Le signe... Faut dire qu'il était sacrément sexy, cet enfoiré... Mon premier mec "maqué", d'ailleurs, mais c'est une autre histoire...
Militante,donc... Ouééééééé ! À moi les levers à trois heures du mat' pour aller differ (NDLR : faire les diffusions de tracts à l'entrée des plus grosses boîtes de la ville, aux heures de prise de service des ouvriers qui bossent en équipe, les ceusses qui ont encore les yeux bouffis de sommeil et qui comprennent même pas de quoi vous leur causez - mais instinctivement ils ont quand même beaucoup plus tendance à s'arrêter près de la seule fille du groupe qu'auprès des camarades mâles fin de la NDLR) ; differ, donc, qu'il pleuve, qu'il neige ou qu'il vente (et à quatre heures du mat', faut croire qu'il vente souvent, aux entrées des grosses boîtes de ma région !)
Militante ? Allez, soyons fous, bien sûr que je suis volontaire pour aller m'expatrier sur le plus gros stand de la Fête annuelle, avec les copains de la Région Parisienne que je ne connais ni des lèvres ni des dents, mais on me propose moi parce que j'ai le contact facile et que du coup sur trois jours je me fais trente heures les mains dans l'eau froide pour laver poivrons, salades et tomates, parce que le plus gros stand de la Fête, c'est celui des Kebab !
Militante ? Ben tiens, tant qu'à faire, hein, on va faire l'ouverture du 20H de France 2, en repassant un drapeau avant un meeting ! Ben oui, tiens ! Les images, je les ai jamais vues moi-même, mais elles ont fait le tour de France grâce aux Caravanes de l'Eté... Ben oui, j'assume !
Militante... En pleine campagne présidentielle... Alors ça... Alors ça, ma bonne dame... Jamais je n'aurais voulu le rater... Merde, quand on a des convictions, et que, marché après marché, immeuble après immeuble -toujours commencer par le haut, puis redescendre, parce que tu ne veux pas te retrouver coincé avant de redescendre par des militants adverses qui auraient été prévenus que tu vas te faire tous les étages, toutes les portes de cette moche tour pour discuter avec les GENS un par un- tour après tour, tu parles avec les GENS UN PAR UN, ben oui, tu veux changer les choses...
Et quand, le soir du premier tour, après une journée passée à faire le tour des bureaux de vote de la campagne la plus profonde (officiellement, tu n'as plus le droit d'être en campagne, alors tu oublies journaux et tracts, tu t'annnonces juste bien fort en entrant dans le vestiaire de l'école du coin en demandant si tous les bulletins de vote ont été bien reçus "non parce que bon on a entendu parler de problèmes de logistique alors on vient vérifier") ; quand ce soir-là, on atteint des scores jamais égalés dans l'histoire de l'organisation, et que les gens présents au dépouillement viennent te serrer la main, et te sourire, et te parler d'espoir, et de sincérité et de constance... ben là... là... Là tu t'assieds sur un banc, dans le cliché du soleil couchant, tu souris, tu t'exaltes... et putain, t'as envie de faire l'amour au monde entier.... Heureusement, y a que le leader local à côté de toi...
Ce soir, en quelques secondes, au pire en deux minutes, j'ai revu tout ça...
Et cette exaltation, cette satisfaction de savoir que nos actes sont en ligne avec ce quoi on croit, je l'ai ressentie... Dans mes tripes, fort...
Aussi fort que la façon dont l'étudiant gueulait dans son micro sans fil de la mort qui tue :
"Mort à Sarkozy ! Courage à tous ! Et vive la grève !"
(Crédit photo : TF1/LCI... ouep... on fait c'qu'on peut !)
Je ne suis pas très sûre de ce que veut dire mon sourire... P'têt que c'est moche, de grandir...?